Urbanisme: adieu Deville

Par Me Valentine VIENNE, le 15 avril 2025

Par un avis du 11 avril 2025, n° 498803, le Conseil d’État, saisi dans le cadre d’une question préjudicielle, apporte une clarification radicale s’agissant des éventuelles obligations à la charge de l’administration en matière de prescriptions spéciales lors de l’instruction d’une demande de permis de construire ou d’une déclaration préalable… ou, plutôt, l’absence de toute obligation.

Au cas d’espèce, la société AEI Promotion contestait le refus de permis de construire qui lui avait été opposé par le maire de Saint-Raphaël pour un projet mixte (commerces, bureaux, logements).

Le pétitionnaire faisait valoir que le maire aurait pu ou dû accorder le permis sollicité en l’assortissant de prescriptions permettant d’assurer la conformité du projet aux dispositions réglementaires méconnues.

C’est dans ce contexte que le tribunal administratif de Toulon a transmis au Conseil d’État la question préjudicielle suivante :

Un pétitionnaire qui, en dehors de toutes dispositions législatives et réglementaires prévoyant la possibilité pour l’autorité compétente d’assortir son autorisation d’urbanisme de prescriptions spéciales, se voit opposer un refus de permis de construire ou une opposition à déclaration préalable, peut-il se prévaloir, devant le juge, de ce que, bien que son projet méconnaisse les dispositions législatives et réglementaires dont l’administration est chargée d’assurer le respect, cette dernière aurait pu ou dû lui délivrer cette autorisation en l’assortissant de prescriptions ?

Se fondant sur les dispositions des articles L. 421-6 et L. 421-7 du Code de l’urbanisme, le Conseil d’Etat rappelle :

  • Que l’autorité administrative compétente en matière d’autorisations d’urbanisme a la seule charge de s’assurer de la conformité des projets qui lui sont soumis à la réglementation applicable et ne peut autoriser que les projets conformes à cette dernière ;
  • Que le pétitionnaire peut – en l’absence de dispositions y faisant obstacle – de sa propre initiative ou après avoir été alerté par le service instructeur des absences de conformité de son projet à la réglementation applicable, apporter à son projet les modifications permettant d’y remédier si celles-ci ne changent pas la nature du projet, ce pendant la phase d’instruction de sa demande, avant l’intervention d’une décision expresse ou tacite ;
  • Que l’autorité administrative compétente peut, sans jamais être tenue de le faire, accorder le permis ou ne pas s’opposer à la déclaration préalable en assortissant sa décision de prescriptions spéciales portant sur des points précis et limités et n’imposant pas la présentation d’un nouveau projet.

Et le Conseil d’Etat de conclure que, dans ces conditions, le pétitionnaire s’étant vu opposer une décision de refus de permis de construire ou d’opposition à déclaration préalable ne peut pas se prévaloir, devant le juge de l’excès de pouvoir, de ce que l’autorité administrative compétente aurait dû lui délivrer l’autorisation sollicitée en l’assortissant de prescriptions spéciales.

Faut-il alors sonner le glas de la solution Deville ?

Pour mémoire, M. Olivier FUCHS, rapporteur public, rappelait à propos de cette dernière, les éléments suivants :

« Vous avez récemment précisé, par votre décision Deville du 26 juin 2019, au Recueil, que lorsqu’un projet de construction est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique, le permis de construire ne peut être refusé que si l’autorité compétente estime qu’il n’est pas légalement possible d’accorder ce permis en l’assortissant de prescriptions spéciales permettant d’assurer la conformité de la construction avec ces dispositions. En d’autres termes, entre l’édiction de prescriptions et le refus de permis, l’autorité compétente n’est pas libre de choisir : elle doit délivrer une autorisation assortie de prescriptions lorsque les conditions en sont réunies et ce n’est qu’en cas d’impasse, c’est-à dire d’impossibilité d’assurer la conformité de la construction par l’édiction de prescriptions, que le permis demandé peut être refusé. (…) » (conclusions de M. Olivier FUCHS sous CE, n° 426139, 22 juillet 2020).

Or, aux termes de l’avis rendu le 11 avril dernier, l’autorité compétente n’est jamais tenue d’assortir l’autorisation sollicité des prescriptions ayant pour effet d’assurer la conformité des travaux projetés à la réglementation dont l’administration est tenue d’assurer le respect, il faut nécessairement en conclure qu’elle n’y sera désormais plus tenue y compris lorsque des questions relatives à la salubrité ou à la sécurité publique se poseront à l’occasion de l’instruction de la demande ou de la déclaration, et l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme, disposition d’ordre public, trouvera à s’appliquer.

C’est qu’a expressément proposé la rapporteure publique à cette occasion :

« Au terme de cet examen, et compte tenu de l’ensemble des inconvénients qu’une extension de la solution dégagée dans votre décision Deville emporterait, il nous semble que seules deux solutions peuvent raisonnablement s’offrir à vous pour répondre à la demande que vous a adressée le TA de Toulon. La première est de s’en tenir à votre décision Deville, en réaffirmant que l’obligation pour l’administration de rechercher si une prescription est possible plutôt que d’opposer un refus, est circonscrite aux atteintes à la salubrité ou la sécurité publique. La seconde, qui a notre préférence, parce qu’elle est facteur de simplicité et de cohérence, alors que nous n’avons pas identifié de raison objective de ne pas retenir la même solution pour l’ensemble des règles d’urbanisme, mais aussi parce qu’il est permis de penser que, si Gorbio avait précédé Deville, Deville n’aurait pas existé, est de revenir sur cette décision. (…) » (conclusions de Mme Maïlys LANGE, rapporteure publique, sous l’avis CE n° 498803 en date du 11 avril 2025).

Et de considérer que qui trop embrasse, mal étreint

L’avenir éclairera cette ambition de « simplicité » faite sienne par le Conseil d’Etat.

CE, Section, 11 avril 2025, n° 489903

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